7. Comme un relent de soufre

Mel était restée à explorer ce fascinant dédale bien après que Lucie ne soit ressortie. Cette dernière était sans doute soulagée de se débarrasser de la jeune femme taciturne qui préférait passer ses journées à explorer plutôt qu’à bavarder. En effet, si elle n’avait pas réussi à se faire prêter de torche, elle était pourtant revenue à la charge poussée par une curiosité qu’elle ne s’expliquait pas.

Une douce humidité baignait l’obscurité de la pierre. Cet air lourd d’échos berçait Mel d’harmonies subtiles, perlant là et suintant ici alors qu’elle se faufilait de stalactites en stalagmites.

Qui aurait cru, terré là, ce trésor enfoui ?

Mel avança sa main, encore aveuglée par les ténèbres alors qu’elle tâtonnait toujours plus loin. La pierre granuleuse s’effrita sur ses doigts en grandes traînées granuleuses pour s’écraser mollement sur une surface souple, lisse et chaude. Elle fit un cercle du bout des doigts, confuse, lorsqu’elle se figea en rencontrant un renflement charnu.

Avant même de pouvoir réagir, elle se trouva bousculée et bâillonnée. Une pression brusque apposait son empreinte ferme au creux du corps de Mel. Des mains puissantes enserraient sa taille et ses lèvres. Mel écrasa ses tremblements de terreur sous une rigidité paralytique. ‘Personne m’entendra. Un putride. J’ai rien senti. Liam !’

Un souffle d’air au creux du cou lui fit l’effet d’un coup de fouet. Mel rassembla ses forces pour une infime chance d’en réchapper. ‘Pas le cou, pas le cou, pas le..’

« Tout doux… », susurra à son oreille la voix grave de son agresseur. « Ils n’aiment pas l’eau. Ici, c’est mon domaine. »

Surprise, Mel n’eut pas la présence d’esprit de retenir son violent coup de tête.

Après une brève lutte, une trêve avait été conclue sur concession de Mel, qui devrait réparation à son “agresseur” pour sa mâchoire endolorie.

Tout en se frottant les poignets, elle s’exclama avec véhémence :

« C’est malin aussi, de rôder dans le noir !

– Personne ne m’a prévenu que c’était journée portes ouvertes… », répondit-il de cette voix légèrement moqueuse qui faisait des arpèges sur sa colonne vertébrale. « Évidemment, ils se sont gardés aussi de te parler de moi. Laisse-moi deviner, Pierre est en expédition ? Ça m’étonne pas de lui. Il prend des échappatoires à la mesure de ses responsabilités. Un problème après l’autre… »

Il eût un rire sans joie, dont l’écho résonna longuement sur les parois alors qu’il se présentait.

« Je m’appelle Paul. Et je suis ici chez moi. » Une sombre satisfaction teintait ces paroles, et Mel jeta un coup d’œil nerveux vers la lumière diffuse d’où elle était parvenue.

« Viens. Je ne vais pas te manger, va ! Personne ne connaît mieux ces grottes que moi. Par ici..Quel manque de confiance ! Je te jure que c’est plus facile si tu me donnes ta main. »

Essoufflée, Mel se contenta de secouer la tête, faisant sautiller ses pointes ébouriffées dans la pénombre.

Brusquement, un bras lui bloqua le chemin, puis des doigts lui agrippèrent l’épaule pour la guider devant Paul. La main se retira, la présence aussi. Isolée dans son ilot d’obscurité avec comme seuls compagnons le rythme liquide de la grotte et celui sourd de son cœur, Mel attendit.

Fourmillement des sens en alertes, un son étouffé, comme un souffle, et le vacillement d’une lanterne antique à quelques coudées de là. La lueur dansante découpa les cheveux sombres en épis, s’attarda sur le profil anguleux au nez droit et fin, épousant les pommettes hautes et la mâchoire arrogante. Joueuse, elle dévoilait par à-coups la peau satinée de soleil à peine obscurcie par l’ombre d’une barbe et l’éclat d’acier niché dans ces prunelles qui la fixaient avec insistance.

« ..Pierre ? », souffla Mel, interdite.

Accroupis autour de la lanterne, ils observaient la nappe sombre qui s’étendait à leurs pieds.

« ..Et c’est comme ça qu’il s’est empressé d’acheter la terre pour une bouchée de pain. Tu parles, personne n’était au courant ! Ils auraient appelé des spécialistes, fait des recherches. Rien du tout, il était malin Xavier ! L’oasis caché en plein désert, c’est devenu son domaine. Ils se faisaient des week-end avec sa bande de potes. Un homme populaire, en plus. Tu parles d’un oncle, oui, il nous amenait en douce parfois avec Pierre ! Toute la bande de motards cloutés de cuir qui débarquent ! Avec les traînées de poudre qui pétaradent partout autour ! Une fois, ils avaient loué des camionnettes… Il a jamais construit plus que quelques cabanes, tout le monde amenait sa tente, on dormait à la dure.. ou pas du tout. Et les stocks de bières ! », s’interrompit Paul en riant.

« Les stocks de bières qu’il a entreposés ici… Parfois on en retrouve par hasard au détour d’un couloir. Tu parles, il y avait une belle brochette… C’était un homme, un vrai. Je me souviens, la nuit il nous prenait par l’épaule avec son visage craquelé de rire et sa barbe.. et il nous enfermait pour dormir dans la cabane. ‘Faut dire que la nuit… Ici, loin de tout, ils étaient libre de tout aussi. Au milieu de nulle part. ‘Faut pas juger, c’était un autre temps… », acheva-t-il en laissant traîner la phrase dans le silence.

Un air lugubre, presque blessé, tordait les traits de Paul. Mel comprit vaguement qu’il avait admiré cet oncle avec ce vieux rêve d’enfant d’arriver à l’égaler un jour, le modèle d’homme “vrai”. Peut-être devait-on trouver là quelque part la source de la rivalité, graine d’inimitié, qui avait germée entre les deux jumeaux. Paul et Pierre. Ils étaient si semblables d’apparence, s’émerveilla Mel, mais presque opposés de convictions.

Elle ouvrit la bouche pour reprendre, mais Paul se levait déjà.

« Écoute, je te raccompagne mais ça reste entre nous. Ils aimeront déjà pas qu’on ait causé, alors que je te montre l’eau… »

Éblouie à l’entrée de la cave, Mel marqua une pause avec un dernier regard derrière elle. Sans doute Paul attendait, quelque part dans son domaine. Soudain, un jappement joyeux la tira de ses réflexions. ‘Le cabot !’

Et aussitôt un sourire l’éclaira alors que ses pas s’accéléraient vers Liam.

Meli-fluous

Share