6. You think you know me
Le soleil éclatait de couleurs dans une cascade de poussière. Liam observait, émerveillé, les motifs dessinés par le sable. Blanche douleur irradiant sous ses paupières. A chaque pas, ses muscles roulaient sous sa peau, faisant jouer tendons et ossatures. A son épaule, le sac pendu cisaillait doucement sa chair.
Les yeux mi-clos, il avançait en écoutant les crissements du sable, devant lui le choc plus sourd de l’homme-adulte-Pierre, à ses côtés le jappement léger de son ami-compagnon-confident à quatre pattes.
Il ne savait pas depuis combien de temps ils avançaient, mais la chaleur approchait peu à peu du moment où Mel appelait d’habitude leur repos, sans que Pierre ne donna signe d’arrêter. Il ressentit un douleur sourde éclore dans sa poitrine à cette pensée. Mel était restée au camp.
Au camp, en sécurité ? Non, le camp il ne l’associait pas à la sécurité. Il lui inspirait, plus qu’un sentiment de relâchement, un vague dégoût dilué de nervosité. Une mélodie dissonante, et il dû s’empêcher net de la triller sur-le-champ.
Liam n’était pas à l’aise avec ce grand homme qui faisait des gestes très importants et qui semblait s’auréoler de l’admiration des autres avec délectation. Peut-être que l’homme huileux le sentait, mais il lui rendait bien son aversion. Liam décida que ce n’étaient pas les commentaires, non. Ils étaient… anodins. Mais l’homme irradiait l’antipathie comme le soleil baigne le monde de ses flammes. Avec une persistance obtuse.
Rwouaf soufflait déjà bruyamment en claudiquant quand Pierre accéléra encore le pas. Liam le suivit en vacillant de foulée en foulée. Il se jeta dans une chute à moitié contrôlée pour tenter de ne pas perdre le rythme. Ça faisait comme planer, en plus douloureux.
« Comment s’appelle ton bestiaux, tu m’as dit ? »
Voilà, ce genre de question, sottovoce aggressivo, et en plus, Liam en était sûr, il n’avait en aucun cas mentionné son ami à l’homme.
Comment répondre ? Son compagnon permanent n’avait jamais eu d’appellation articulable avec des syllabes humaines. Avec une légère moue, Liam haussa exagérément des épaules accompagné d’un petit moulinet de rigueur.
Les yeux de Pierre se plièrent d’aigreur, comme une porte qui ce serait claquée dans son regard. Un violent fourmillement de peur prémonitoire grouilla dans le ventre de Liam. Pierre se détourna en virant abruptement à droite, vers la falaise qu’ils longeaient. Au grognement intrigué de son petit camarade, Liam fronça les sourcils. Il y avait des gens tout proche mais pas des putréfiés. Il emboîta le pas à l’homme.
C’était vraiment une chouette idée, cette cachette qu’on pouvait barricader, et puis, il lui semblait bien à travers le nez plus fin de son acolyte qu’il y avait plusieurs issues. Dans la pénombre rugueuse, engoncés dans la falaise, six souffles raclaient le silence.
Une voix de femme, aigüe, s’éleva.
« Tiens Pierre, tu n’as pas pris ta portière fétiche ?
– Une portière ne suit pas les ordres.
– Ooh, je me demandais pourquoi le petit…
– Il n’y a que toi pour avoir ces idées ! Une portière vivante ! », s’exclama une voix plus lourde, qui s’acheva dans un ricanement grinçant.
« Il fallait que j’en change de toute manière. La dernière est prête à être ajoutée à nos défenses. Je parlerai à Lucie pour voir où la clouer.
– Lucie, Lucie… », minauda la voix de femme avant de s’éteindre comme les rides d’un ricochet, suivie d’un froissement de tissu, quelques tapotements qui résonnèrent étrangement, et puis des soupirs réprimés.
Liam se ramassa encore plus sur lui-même, serrant Rwouaf contre lui pour qu’il ne fasse pas de bruit.
La voix de Pierre brisa de nouveau le silence, si harmonieuse par rapport aux autres. « Voyons, Adélie, Maurice. Un peu de retenue, nous avons de jeunes âmes parmi nous. »
Le lendemain, Liam constata que ce n’était pas simplement un trou dans la falaise, mais bien un réseau de galeries. La roche était grossière au toucher, mais ses doigts sensibles détectaient sur ces parois la main de l’homme. Les autres naviguaient dans la quasi-pénombre, Pierre allumant dans les passages difficiles sa lampe énorme, vitrifiée sur le dessus, et dont il tournait parfois dans un sonore vrombissement la manivelle.
C’était lent et fastidieux, le tunnel n’étant qu’un boyau, par moment éboulé, obstrué ou simplement si écroulé qu’ils avançaient sur une charpente métallique au-dessus du vide. Ce fut avec un soupir collectif de soulagement qu’il aperçurent la lumière baigner insensiblement le couloir jusqu’à se déverser en flots de poussière depuis l’ouverture à moitié barricadée.
Lorsqu’ils eurent débloqué la porte, Liam s’extirpa en premier, avide d’air. Sur un amas rocheux, il contempla en contrebas un lugubre cimetière. Voiture sur voiture décharnées solitaires, plantées là sans vie mais stoïques sous le cisaillement du sable. Il s’en dégageait un sentiment poignant d’abandon, un silence aussi macabre que si elles fussent vivantes.
Et dans le calme du soir, la plainte tourmentée de la mort s’éleva.