5. Petit coin de paradis
« Et ici, notre citerne. C’est une idée du Doc, il l’a dessinée lui-même. » Mel jeta un coup d’œil dubitatif vers ce qui semblait être une lourde plaque de métal posée par terre. « Évidemment, elle est creusée. Ça nous a pris des jours de travail, mais ça en vaut la peine ! »
Elle hocha poliment la tête, avec le regard légèrement flou de celui qui est prêt à passer à la suite. Son guide, une jeune oiselle maternante aux cheveux filasse, lui adressa un sourire sympathique. ‘Comment elle s’appelle déjà ? Ludivine.. non, Lucie.’, s’interrogea Mel en lui rendant faiblement son sourire.
« Ça fait beaucoup à découvrir d’un coup, hein ? Bah, viens je vais te montrer la Réserve. Ça nous fera un peu d’ombre ! »
Elle avait été réveillée brusquement, soulevée par les aisselles et bousculée en avant. Un vent frais jouait avec ses boucles noires alors qu’on la dénouait. Ses paupières s’étaient soulevées doucement, s’accoutumant au crépitement doré des silhouettes qui se découpaient dans l’air du soir. L’odeur âcre de la fumée lui piquait le nez, comme un relent de nostalgie.
Devant Mel, éparpillés sur des perchoirs hétéroclites, étaient présents la plupart des habitants. Une vingtaine de personnes, avait-elle jugé en plissant les yeux. A côté d’elle, deux hommes déliaient Liam en échangeant des plaisanteries bon enfant.
Le visage de Pierre s’était détaché des autres, presque risiblement solennel. L’image foudroyante d’un cercle d’enfant jouant aux roitelets s’invita dans son esprit, et une trille d’alarme résonna le long de ses vertèbres.
Ces gens ordinaires, déracinés par des circonstances extraordinaires, mutaient écharpés à l’étroit face à l’immédiateté de l’horreur. Brusquement ils étaient jetés à l’abandon, omnipotents sur leur petits territoires. Avec ce pouvoir enivrant de vie ou de mort qui leur enfumait l’esprit, plus envoûtant encore qu’avoir l’ascendant sur le bonheur de quelqu’un. C’était l’enfant gâté et tyrannique qui soudain se trouve déifié sans jamais avoir appris les revers du pouvoir.
Une noire panique avait envahi ses pensées, et elle s’était empêchée de justesse de vomir en hoquetant. A ses côtés, Liam n’avait cessé de fixer le jeu des flammes alors qu’ils se faisaient formellement introniser parmi les habitants du Roc.
Heureusement, la conclusion avait été prise avant leur arrivée, leur épargnant des débats agonisants. Pourtant, et malgré avoir laissé traîner ses oreilles grandes ouvertes, elle ne savait toujours pas ce qui leur avait valu ce traitement. Ça puait la réaction disproportionnée suite à une erreur désastreuse.
Elle avait croisé de petits groupes une ou deux fois déjà, des fuyards qui l’avaient accueillie entre méfiance, incrédulité et soulagement. Aucuns ne l’avaient traitée comme une pestiférée. Elle parlait, elle souriait, cela suffisait pour prouver qu’elle était vivante. Ces gens avaient délibérément envisagé sa mise à mort, et celle de Liam.
‘Et même pas question de nous laisser repartir. Ils cachent quoi de si terrible ?’, pensa-t-elle amèrement. Reportant son regard sur les vêtements décolorés de sa guide, Mel ne réfréna pas l’inquiétude qui sourdait dans ses tripes.
« Hé, Salut ! Ludo, c’est Mel. Mel, Ludo c’est notre spécialiste en bricolage. Il a des doigts magiques ! » Lucie s’exclama chaudement, poussant le vice jusqu’à planter une bise sonore sur les lèvres d’un homme bronzé, aux cheveux sombres ébouriffés. Il parut agréablement surpris, lançant un regard scrutateur sur la personne de Mel, alors que son bras s’insinuait contre la taille de Lucie.
Mel se força à sourire, tachant comme elle pouvait de retenir la farandole de gens qu’ils croisaient, des gens qui ne se distinguaient pour elle que par une curiosité plus, ou moins, dissimulée. Elle avait une perception aiguë de leurs regards sur elle, les sillons creusés sur son corps par leurs yeux brûlant d’une flamme sourde dans sa tête. Elle se sentait exposée, dénudée même parfois.
Dans un léger soupir, elle espéra que cela se passait mieux pour Liam. Il avait été chargé de ravitailler l’expédition qu’ils avaient interrompue la veille et était parti à l’aube avec Pierre pour la rattraper.
Tant bien que mal, les deux jeunes femmes parvinrent à ce qui semblait une plaie béante dans la paroi rocheuse. Légèrement de biais et en retrait, elle était plutôt bien dissimulée. L’orifice était irrégulier et grossier, formant une entrée naturelle bien qu’elle parut avoir été agrandie à certains endroits où la pierre était écorchée à nue.
Devant l’étonnement évident de Mel, Lucie éclata d’un rire franc. « Je savais que ça te tirerait de tes ruminations ! Tu vas voir, c’est notre trésor. T’y as déjà fait un séjour, d’ailleurs. »
Hochant la tête devant l’air estomaqué de Mel, elle lui prit naturellement le bras pour s’avancer dans l’ombre bienfaisante de la falaise. Pourtant, elles n’avancèrent pas bien loin.
Tous ses sens en éveil, la survivante du désert s’arrêta net après quelques pas seulement, laissant Lucie trébucher en glapissant. Une fraîcheur coulante s’enroulait dans l’air, et tous ses pores assoiffés exultaient, euphoriques, alors qu’elle sentait obscurément battre en retrait dans son dos l’aridité cassante du désert.
‘L’Eden ?’