3. Milles et une nuits… parmi les zombies
Elle les toisa d’un air défiant, auréolée de ses cheveux noirs poisseux comme une martyre farouche. L’homme face à elle s’était figé à ces mots, mais recommençait à se mouvoir avec une lenteur délibérée. Les autres jetaient des regards anxieux aux alentours, aux abois. Elle se mordit la langue fermement pour arrêter un rire hystérique qui pétillait dans son crâne. Maintenant qu’on ne la tenait plus en joue, son partenaire hypothétiquement armé pourrait éventuellement réagir à toute manœuvre agressive de ses interlocuteurs.
‘La belle menace… Quelle idée à la con, oui. Je leur mens ? Et le p’tiot ?’ Pour sûr, si elle l’appelait ils seraient furieux d’avoir perdu la face devant elle. Pour un gamin. Qu’elle ne pouvait pas abandonner, quand même. ‘Merde quoi, c’est toujours l’même choix. Mourir, ou survivre.’
Baissant les mains, qu’elle tint écartées, elle inspira profondément. « J’vais l’appeler. Pas d’mouvements brusques, ok ? L’est un peu sauvage. » ‘C’est qu’un gosse’, n’osa-t-elle rajouter à voix haute. L’homme qui semblait être le meneur du groupe hocha gravement la tête, s’accoudant sur sa portière de voiture dans l’expectative. Il avait le regard fixe et patient du prédateur de sang-froid, et c’était lui la menace dans le petit groupe. Les autres paniqueraient, mais elle était sûre qu’il réagirait en mesurant ses actes, de manière calculée. Un frisson la parcourue en imaginant ce même regard impassible observer sa vie se déversant sur le sable.
Elle fit quelques pas en arrière, et manqua trébucher. Un remous d’agressivité parcouru la bande. La femme à ses côtés, s’étant reculée sous l’injonction du mâle alpha, venait de glisser une main sous sa veste, et l’homme au chapeau difforme qui lui avait donné la répartie balançait mollement contre sa cuisse une matraque.
Une goutte de sueur glissa le long de son nez, et elle humecta ses lèvres avant de se mettre à siffler. C’était une trille compliquée, aux gais accents d’oiseau, et qui semblait aussi absurde dans la situation que si elle s’était mise à jouer du banjo en faisant des claquettes. Les variantes que le gamin lui avait fait répéter permettaient de la siffler en boucle sans jamais répéter deux fois les mêmes notes mais en gardant la mélodie. Concentrée sur sa respiration et sa langue pâteuse qui refusait de coopérer, elle ne l’entendit même pas approcher. Pour autant, il ne passa pas inaperçu. Devant elle, le meneur s’était redressé comme médusé. ‘Et toc !’ Les réactions des uns et des autres allaient de la méfiance à la consternation. Finalement, elle s’arrêta sans se « Liam ? », appela-t-elle d’une voix qu’elle espérait égale.
Un bras mince entoura étroitement ses épaules, tranchant de son ton bistre onctueux avec sa peau à elle, visiblement brûlée par un soleil hostile. Le visage aux traits fins de l’adolescent s’anima d’un sourire à la vue du chien. Il semblait svelte et gracile comme une jeune liane malgré leurs conditions de voyage difficile. L’énergie de la jeunesse, se maugréait-elle souvent.
Seuls ressortaient de manière étonnante ses yeux azures, comme animés d’un éclat propre et qui lui rappelaient invariablement ce loup aperçu dans un zoo, dans une autre vie. Leur contraste saisissant, enchâssés dans le brun chaud de sa peau, fit murmurer les deux hommes à l’arrière. La femme, quand à elle, arborait un air ébahi à mi-chemin entre l’incrédulité et la concupiscence.
Prise au dépourvue, Mélodie tenta un sourire bancal. « C’est Liam. Il est pas causant. ‘Fin, pas avec des mots. L’cabot est à lui.» D’une main amicale, elle baissa la capuche du sweat à la couleur indéfinissable dans lequel flottait son compagnon. ‘Histoire d’être polis…’
Se dressant de toute sa hauteur, le type en face d’elle sourit, un éclat d’acier dans les yeux. « Je m’appelle Pierre. Vous me suivrez jusqu’en ville. Vous autres, continuez comme prévu. Je vous rattraperai. » On sentait une pointe de fierté sur ce mot, ville, et le regard de Mélodie se porta vers la palissade entr’aperçue alors qu’il rassemblait d’un coup de tête ses acolytes pour donner ses dernières instructions. Un pas derrière elle, des grognements. Liam sermonnait sa bestiole.